Talleyrand entre diplomatie et politique: l’amour pour Valençay et l’affaire Bénévent

Talleyrand entre diplomatie et politique: l’amour pour Valençay et l’affaire Bénévent

Valençay en France et Bénévent en Italie sont deux grands cadeaux que Napoléon Bonaparte a fait à Charles Maurice de Talleyrand Périgord (1754-1838), un évêque libertin, un homme cultivé et très intelligent, une figure de politicien dissimulateur sans scrupules, impassible, impénétrable, un homme aux mille visages, noble de sang. Talleyrand est l’homme qui a conduit une France détruite au Congrès de Vienne, la sauvant ainsi d’une débâcle certaine. C’était l’homme qui prenait des pots-de-vin sur chaque affaire. Mais il était aussi un homme politique éclairé, porteur d’un grand projet des Lumières et de la modernité, destiné à s’adapter à ce que l’histoire lui offrait.

Mais ce n’est pas sur sa biographie que je veux m’arrêter ici, étant donné l’énorme quantité de matériel sur le sujet, mais plutôt sur la façon dont les deux domaines sont entrés en sa possession et ce qu’il en a fait usage.

Le château de Valençay est l’un des 23 plus grands sites du Val de Loire, caractérisé par le charme typique de la campagne française avec, en plus, une position enviable à proximité des grandes villes. Situé entre le Berry et le Val de Loire, il permet de rejoindre Tours et Orléans en 1h30 et Paris en 2h30.

Le domaine du Valençay fut acheté par Talleyrand en 1803 avec le soutien financier de Bonaparte. Dans ses 12000 hectares, il comprend les châteaux de Valençay, Luçay et Veuil. Il l’embellit et la conserva dans le temps, en y réservant un soin particulier, même s’il avait l’occasion d’y résider rarement, puisque l’empereur le voulait à ses côtés dans ses expéditions militaires européennes.

Le domaine du Valençay fut acheté par Talleyrand en 1803 avec le soutien financier de Bonaparte. Dans ses 12000 hectares, il comprend les châteaux de Valençay, Luçay et Veuil. Il l’embellit et la conserva dans le temps, en y réservant un soin particulier, même s’il avait l’occasion d’y résider rarement, puisque l’empereur le voulait à ses côtés dans ses expéditions militaires européennes.

Talleyrand y fut seigneur munifique et entreprenant, soucieux des travaux de restauration et de la construction de biens communs. Il y a construit des jardins, un parc et un potager.

Pendant la guerre civile espagnole, Bonaparte lui ordonne d’accueillir à Valençay les princes d’Espagne, en tant que geôlier. Il exécute, ayant tout égard pour ses invités, pour un séjour qui a duré six ans.

Le domaine de Valençay est un lieu où Talleyrand retrouve sa liberté, comme il l’écrit en 1817 au duc de Montmorency.

Relevé de ses fonctions par Louis XVIII (roi de France de 1814 à 1824) pour un crime d’opinion libéral malgré les services rendus, Talleyrand peut retourner sur son domaine sous la Restauration. Il y passe de longues périodes, reçoit des amis, lit, écrit, prend soin de sa propriété. Il y diffuse des œuvres de soulagement et de charité pour les petites filles et les malades, grâce à l’œuvre des sœurs. Il fait don d’un terrain pour construire une mairie, une justice de paix, une école de garçons.

En 1825, le préfet d’Indre écrit à son ministre : « Il n’y a ni mendiant ni individu absolument nécessiteux à Valençay car monsieur le prince de Talleyrand a établi des ateliers où il y a du travail tous pour les âges. »

Si Valençay est une sorte de lieu de l’âme pour Talleyrand, Bénévent, ville de Campanie où il ne mit jamais les pieds, il s’avère pour lui une affaire rentable.

Il faut dire que sa sensibilité d’homme lui permit d’administrer aussi cette ville dont il fut pourtant loin comme le plus éclairé des princes. Il y assure une éducation obligatoire et gratuite pour tous, y compris les enfants, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à ce moment-là, et fait de Bénévent une île heureuse et, surtout, il parvient à empêcher l’invasion des troupes françaises.

Là, la demeure de Talleyrand devint le Rocca dei Rettori, qui avait toujours été le siège des représentants du Pape. Il faut rappeler qu’en 1802 Napoléon, sur les conseils de Charles Maurice, promulgua les articles organiques par lesquels il procédait à l’occupation des terrains pontificaux. Le 15 février 1806, les troupes françaises entrent à Bénévent et le 5 juin, Bonaparte nomme le prince-cardinal Charles Maurice de Talleyrand-Périgord prince et duc de la ville; le titre serait transmis héréditairement à ses enfants mâles légitimes et naturels, par ordre de primogéniture. Le 16 juin, la ville est occupée militairement par le général français Louis-François Lanchatin avec 150 soldats de cavalerie. Le 26 juillet, nommé par Talleyrand, arrive en ville le premier gouverneur, Alexandre Dufrense de Saint-Leon, qui prend la place du gouverneur pontifical Zampelli.

En 1814, l’empereur est contraint à l’exil sur l’île d’Elbe et Bénévent est occupée par les troupes françaises de Joachim Murat, beau-frère de Napoléon et encore sur le trône de Naples grâce à l’alliance avec l’Autriche signée avec le chancelier Metternich. Alors que fait Talleyrand ? Grâce à d’habiles manœuvres, il se fait indemniser la perte de l’ancien duché. L’écrivain français François René de Chateaubriand, qui détestait Talleyrand, a écrit à cette occasion : « Monsieur Talleyrand pensait avoir droit à une subvention en échange de son duché de Bénévent : il vendait la livrée en laissant son maître. Au moment où la France perdait tant, Monsieur Talleyrand ne pourrait-il pas lui aussi perdre quelque chose? Quand Monsieur Talleyrand ne conspire pas, il fait des trafics ».

L’affaire liée à la ville de Bénévent démontra une fois de plus que l’habile marquis savait tirer d’embarras même des situations les plus difficiles, en obtenant le maximum d’avantages avec l’art de la diplomatie et avec son calme imperturbable. Du reste, le prince de Bénévent, habile dans l’art de la procrastination, avait dit de lui-même : «Voyez, je ne me suis jamais précipité et pourtant je suis toujours arrivé à temps».

En échange de la cession de Bénévent, Talleyrand demandait six millions de francs, somme réduite ensuite à deux. La facture salée devait être supportée par le roi Ferdinand pour 1,5 million et par Pie VII pour les 500000 restants. Il s’agit de la valeur vénale du duché en 1807.

En bref, la ville de Bénévent a peut-être été l’une des meilleures affaires de la vie de Talleyrand. Le scandale n’est pas tant le fait qu’il ait reçu une indemnité qui n’était pas légalement due, mais le fait que Talleyrand ait reçu la rente du duché jusqu’à sa mort en 1838.

L’astuce pour percevoir l’argent d’un titre qu’il ne possédait plus avait été imaginée avec le cardinal Ruffo, qui sera ensuite bien payé dans son testament.

Donc, au total, jusqu’en 1838, Bénévent avait rapporté au Français 2 millions d’indemnités, plus 1230 de revenus, plus 120 mille de primes. Soit un total de 3350 millions de francs, c’est-à-dire plus de 13 millions d’euros aujourd’hui.

Bref, en plus d’être un diplomate habile, le Prince est aussi un financier sans scrupules.

Contrairement au chef Napoléon, Talleyrand préférait l’arme de la diplomatie, de la modération, de la médiation. Il trompait tout le monde, tous ceux avec qui il traitait : le tsar de Russie, Metternich, les Bourbons, Bonaparte… Napoléon en était irrité et connaissait bien sa manie de voler à main basse partout où il se trouvait, si bien qu’il demandait souvent à ses victimes : « Dites-moi, combien Talleyrand vous a extorqué ? ». Quelques années avant l’affaire Bénévent, après une dispute, Napoléon l’avait insulté : « Vous êtes une merde en bas de soie ».

Quand Talleyrand fut sur son lit de mort, le roi Louis-Philippe, qui l’avait nommé ambassadeur à Londres, alla le voir. Il souffrait beaucoup. Ainsi le roi lui demanda : « Comment vous sentez-vous ? ». Et lui : «Je souffre les peines de l’enfer».  « Déjà ? » répondit le roi, en souriant sous sa moustache. Quand il reçut l’extrême onction et le viatique, il dit au prêtre : « N’oubliez pas que je suis évêque ». À sa mort, l’écrivain Ernest Renan dit que Talleyrand, homme en toutes saisons, avait réussi à tromper la terre et le ciel.

 

 

 

 

 


Bibliographie
Bastide Louis, Talleyrand’s, Fürsten von Benevent, politisches und religiöses Leben, Cassel e Leipzig, München 1838
Berardi Silvio, Talleyrand, Principe di Benevento, dans “Archivio Storico del Sannio”, Naples, Éditions ESI, n. 2, 2008, pp. 7–187
Colmache Maurice, Revelations of the life of Prince Talleyrand, Henry Coburn Publisher, London 1850
Ingold Auguste Marie Pierre, Benevento sotto la dominazione di Talleyrand ed il governo di Louis De Beer, 1806-1815, Benevento 1984
Ricolo Gennaro, Un rapporto di Talleyrand sul Principato di Benevento dopo il 1794, Benevento 1980
Castille Hippolyte, Talleyrand, Ferdinand Sartorius Éditeur, Paris 1857
Sala Francesco, Notizie Sulla Vita Pubblica E Privata Del Principe Talleyrand Di Périgord, Stella, Milan 1838
Talleyrand-Perigord, Charles Maurice de, prince de Bénévent, La Confession de Talleyrand, V. 1-5 Mémoires du Prince de Talleyrand, Project Gutenberg, Pérouse 2007
Talleyrand-Périgord, Charles Maurice de, prince de Bénévent, 1754-1838, Translation of Mémoires du prince de Talleyrand. ; Half title: Memoirs of C. M. Talleyrand de Périgord. ; “Limited to 500 sets.” No. 205, Société des bibliophiles, Paris [1900?].
Zazo Alfredo, Il Ducato di Benevento dall’occupazione borbonica del 1798 al Principato di Talleyrand, Naples 1941

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